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Pourquoi l’AFPS Alsace a t-elle saisi la CPI ? / Maître André CHAMY présente la plainte devant la CPI / Vidéos, interviews, … / Articles / Actions
André CHAMY, avocat au Barreau de Mulhouse
Pour ma part, mon engagement pour la cause palestinienne est très ancien, pour ne pas dire qu’il date de ma naissance au Liban.
Ce soutien s’est poursuivi sur le plan professionnel en apportant en France mon aide en conseils et procédures aux militants associatifs de la cause palestinienne.
C’est ainsi que je suis depuis quinze années maintenant le Conseil des militants BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) et de l’Association AFPS Alsace (Association France Palestine Solidarité Alsace) dont j’ai défendu les militants qui ont été poursuivis sur la base d’allégations d’antisémitisme.
D’ailleurs, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), en 2020, a condamné la France en raison des poursuites engagées à l’encontre de ces militants qui œuvraient « dans le cadre d’un débat public participant à l’intérêt général ».
Cet arrêt de la CEDH a obligé la Haute Cour en France (Cour de cassation) à revoir les décisions prises à l’encontre de ces militants, procédure qui a abouti à leur relaxe.
Quant au projet de la saisine de la CPI, il est né à l’automne 2022. L’AFPS Alsace avait alors décidé d’agir pour soutenir le village de Wadi Fukin, caricature du colonialisme israélien.
Un dossier permettant l’engagement de poursuites contre l’entité sioniste devant la CPI en raison des exactions, des destructions, et du nettoyage ethnique commis par les autorités israéliennes en Cisjordanie était donc en préparation, depuis un an avant les événements du 7 octobre 2023.
Le deuxième volet de la démarche envisagée, consiste à poursuivre devant la justice française les binationaux (franco-israéliens) en raison de leur participation aux actions dénoncées contre l’armée israélienne.
Pour ce faire, l’AFPS Alsace travaillait avec ses contacts locaux en Cisjordanie sur la recherche de documents et témoignages qui prouvent les faits reprochés aux israéliens et aux binationaux.
Dès la survenance des événements du 7 octobre nos travaux se sont concentrés sur une plainte basée sur des faits commis par les autorités politiques et militaires israéliennes.
La plainte a été déposée sur le bureau du Procureur de la Cour Pénale Internationale le 10 mai 2024.
Cette démarche sera longue, tant pour des raisons de pressions politiques, qui ont déjà commencé, que pour des raisons matérielles qui sont nécessaires à sa réussite.
Nous avons été et serons confrontés à deux difficultés majeures :
– La recherche de preuves
– Le financement de cette procédure sur le court et moyen terme.
Je rajouterai un élément qui paraît important qui est celui de l’accentuation des pressions sur la Cour, reconnues tant par le Procureur, que par l’Angleterre qui a fini par avouer qu’elle levait ses réserves quant à la délivrance d’un mandat d’arrêt contre les responsables israéliens.
Si la justice était réellement indépendante pour quel motif un Etat quel qu’il soit aurait des réserves à lever ?
Par ailleurs nous sommes appelés à produire un maximum de preuves devant la Cour, laquelle pourrait voir sa mission très vite ralentie, sinon bloquée en raison du manque de moyens, nous ne pouvons que constater que ces problématiques sont intimement liées. Permettez-moi de douter de la générosité des Etats pour financer cette recherche de vérité indispensable pour faire aboutir la cause que nous défendons. Les financeurs utilisent souvent cette arme pour sanctionner les victimes et ceux qui les soutiennent (l’exemple de l’UNRWA est flagrant…), de cette manière l’enquête se trouverait bloquée par manque de moyens et de ressources.
Cette situation a nécessité, de notre part, la fourniture d’un nombre impressionnant de preuves, contrainte qui aura deux intérêts :
Accélérer le travail de la Cour notamment par l’apport de document de toutes sortes (vidéos, écoutes, images de drones, témoignages, registres des décès, registres des hôpitaux, …), par des intervenants locaux, décrivant la situation avant et après les attaques israéliennes.
Utiliser ces documents au fur et mesure pour continuer de communiquer sur les supports médias « amis », les supports médias que nous devons mettre en place pour accompagner nos actions, et faire relayer ces informations par les médias occidentaux, notamment anglo-saxons afin de maintenir l’opinion publique informée et sensibiliser en particulier les étudiants et certains intellectuels insensibles aux pressions des lobbies.
Démontrer les mensonges allégués notamment sur ce qui s’est passé le 7 octobre afin de soutenir le narratif de la résistance palestinienne et argumenter l’ampleur de la catastrophe humanitaire causée par la riposte israélienne clairement animée par l’idée du nettoyage ethnique.
Il est rappelé que dans un tel contexte il est impératif de caractériser notre travail par les exigences suivantes :
1. Fiabilité des sources.
2. Vérification des faits
3. Contexte et perspectives.
4. Analyse des termes utilisés.
5. Complément de notre argumentation à travers le recours aux articles de la presse internationale « censés être objectifs ».
FINANCEMENT
Quant au financement, actuellement nous n’avons pas voulu rallier une autre plainte qui a été déposée par une autre équipe d’avocats, non en raison d’un désaccord sur le principe de la plainte ou sur sa finalité, mais en raison des circonstances qui ont accompagné sa création et le doute sur les sources de financement. Nous nous sommes posés la question sur l’opacité du financement particulièrement sur une intervention des qataris via les frères musulmans.
Cela a eu un impact à mon sens sur la plainte déposée par cette équipe, puisqu’elle a reconnu que le Procureur de la CPI lui a demandé de fournir tout ce qu’elle pouvait avoir comme informations et preuves pour alimenter son dossier !
Le financement recherché en sus de l’aide logistique et des informations fournies en quantité et en qualité, est donc primordial pour la réussite de notre démarche.
En effet, nous devons mobiliser des ressources humaines importantes :
– Activités informatiques : créations et mises en ligne de supports médias, vidéos, montages, mises en lignes, mises à jour des réseaux sociaux, avec un système de basculement en cas de blocage de la part des réseaux…)
– Un travail rédactionnel continu.
– Un secrétariat dédié à cette procédure.
– Des déplacements fréquents (billets d’avions, hôtels, location de salle de réunions…)
– etc.
Depuis les procès des anciens dirigeants de l’Ex Yougoslavie, rien « d’important » n’a été commis devant cette Cour, si ce n’est de faire appliquer cette justice internationale sur des pays faibles (notamment des pays africains). Le développement de cette affaire, unique en son genre, évolue en permanence et nécessite une attention constante.
C’est l’une des raisons pour laquelle nous étions, dès la décision de mise en œuvre de ce projet, dans l’incapacité d’en chiffrer le coût même en tenant compte d’un certain nombre de paramètres : le temps nécessaire, le nombre de personnes susceptibles d’adhérer à l’action, tant du côté des acteurs et notamment des avocats, que du côté des intervenants aux côtés des victimes (associations, groupements, coordinations…) et enfin l’évolution du coût en raison de l’évolution des prix dans une période de forte inflation.
Pour entreprendre les premières démarches et déplacements, pour mettre en place les outils indispensables, il a été nécessaire de consacrer une enveloppe budgétaire au projet.
SUR LE RESUME DE LA PLAINTE
La plainte se présente sur un support écrit de 138 pages, accompagné d’une cinquantaine de documents qui retracent l’histoire du conflit pour rappeler, comme l’a fait le secrétaire général de l’ONU, que ce qui s’est produit le 7 octobre et ce qui s’en est suivi ne vient pas du néant.
Contenu de la plainte :
– Un rappel historique de la naissance du problème palestinien notamment les mensonges et usurpations qui ont accompagné ce « projet » criminel de par sa conception : une promesse faite par un Etat à l’égard d’une organisation sioniste, une résolution de l’ONU qui ne pouvait pas avoir la portée qui lui a été donnée par « le monde », et enfin la couverture de tous les crimes commis au prétexte de ne pas dénoncer un peuple qui aurait été opprimé par l’Occident !
– Le problème juridique du fond : la naissance d’un Etat pour en effacer un autre. La Palestine a toujours existé, alors qu’Israël est une création artificielle.
– Les crimes commis depuis 76 ans en toute impunité.
Cela exige, à un moment, l’intervention de la Justice Internationale, face à cette impunité qui ne peut se poursuivre au nom d’on ne sait quelle culpabilité, vraie ou supposée, mais aussi face aux exactions, toujours couvertes par l’Occident, qui n’ont que trop duré.
– Les événements du 7 octobre 2023 avec notre narratif.
– Les crimes commis depuis cette date :
Leur nature, leur ampleur, leur qualification juridique.
RAPPEL DE LA COMPETENCE DE LA CPI
L’État de Palestine étant partie au Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale depuis le 1er avril 2015, cette dernière est habilitée à enquêter sur les crimes de sa compétence survenus sur le territoire de l’État palestinien ou par ses ressortissants.
En effet, le 5 février 2021, la Chambre préliminaire I de la Cour Pénale Internationale (« CPI » ou « la Cour ») a décidé, à la majorité, que la compétence territoriale de la Cour dans la situation en Palestine, un État partie au Statut de Rome de la CPI, s’étend aux territoires occupés par Israël depuis 1967, à savoir Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est.
Le 20 décembre 2019, le Procureur avait annoncé la conclusion de l’examen préliminaire de la situation en Palestine. Le Procureur avait conclu que tous les critères définis dans le Statut de Rome pour l’ouverture d’une enquête étaient remplis. La décision d’ouvrir une enquête concernant cette situation est du ressort du Procureur de la CPI.
Le 22 janvier 2020, le Procureur a saisi la Chambre en vertu de l’article 19-3 du Statut de Rome, lui demandant de se prononcer uniquement sur la portée de la compétence territoriale de la Cour dans la situation dans l’État de Palestine.
La Cour a donc déclaré sa compétence sur les crimes qui se produisent sur le territoire palestinien.
SUR LA PLAINTE
Depuis le 7 octobre 2023, la bande de Gaza a été le théâtre d’attaques systématiques et généralisées visant la population civile palestinienne, constituant une escalade massive de la violence et des violations flagrantes du droit international humanitaire. Ces attaques ont été menées par les forces israéliennes, agissant en tant qu’agents de l’État d’Israël.
ALLEGATIONS
1. Meurtres de masse délibérés : Les forces israéliennes ont délibérément ciblé des civils palestiniens innocents, y compris des femmes, des enfants et des personnes âgées, par le biais de frappes aériennes, d’attaques au sol et d’autres moyens de violence.
2. Destruction délibérée d’infrastructures civiles : Les infrastructures civiles essentielles, telles que les habitations, les écoles, les hôpitaux et les installations de traitement de l’eau, ont été délibérément visées et détruites, entraînant des souffrances et des pertes massives parmi la population civile.
3. Blocus inhumain et disproportionné : Israël maintient un blocus inhumain et disproportionné sur la bande de Gaza, privant délibérément ses habitants des besoins essentiels tels que la nourriture, l’eau, les soins médicaux et les matériaux de construction, constituant ainsi une forme de génocide par l’asphyxie.
4. Déplacement massif de la population civile afin de susciter une situation de chao et de terreur collective.
5. D’autres crimes qui pourraient recevoir une qualification en application du statut de Rome. (Les article 5 à 8 et 8 bis).
PREUVES
Nous soumettons à la Cour une série de preuves comprenant des rapports détaillés d’organisations humanitaires indépendantes, des témoignages de survivants, des enregistrements vidéo, des photographies, des rapports médicaux et d’autres documents corroborant les allégations énoncées ci-dessus.
DEMANDES
Sur la base des allégations et des preuves présentées, nous demandons à la Cour Pénale Internationale d’ouvrir une enquête approfondie sur les crimes de génocide commis à Gaza depuis le 7 octobre 2023, d’identifier et de traduire en justice les responsables présumés, de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à ces atrocités et d’en prévenir leur répétition.
Mulhouse, le 31 juillet 2024.
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