Une vingtaine d’eurodéputés, issus des groupes écologiste, social-démocrate et de Renew, pressent Bruxelles de réviser ses relations avec l’Etat hébreu, en appelant notamment à une interdiction de tout commerce avec les colonies juives en Cisjordanie.
Une semaine après l’avis historique de la Cour internationale de justice, le 19 juillet, qui estime que l’occupation des territoires palestiniens par Israël depuis 1967 est « illicite », Bruxelles s’interroge sur la conformité de la politique de l’Union européenne vis-à-vis d’Israël et de la Palestine. Jeudi 25 juillet, vingt eurodéputés ont envoyé une lettre à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, et au chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, pour que l’Union européenne agisse et respecte cet avis.
Dans ce courrier, signé notamment par les écologistes Tineke Strik et Mounir Satouri (nouveau président de la sous-commission droits de l’homme), les sociaux-démocrates Thijs Reuten et Alessandra Moretti, ou les libéraux de Renew Barry Andrews et Irena Joreva, les élus estiment que l’avis « a d’importantes implications pour l’Union européenne, dont la politique extérieure doit être guidée par le droit international, tel qu’il est inscrit dans l’article 21 du Traité de l’Union européenne ».
Selon une note juridique du service diplomatique européen, datée du 21 juillet, que Le Monde s’est procurée, l’UE s’estime aujourd’hui « en conformité avec les obligations de droit international telles qu’interprétées par la Cour », notamment concernant la non-reconnaissance des changements de frontières de la Cisjordanie décidés par l’occupant israélien, qui réduisent la taille du territoire palestinien. Depuis 2014, l’UE assure qu’elle « ne reconnaîtra les modifications apportées aux frontières d’avant 1967, y compris en ce qui concerne Jérusalem, que si les parties en conviennent ».
Au-delà de la question des frontières, la CIJ souligne, dans son avis du 19 juillet (qui n’est pas contraignant, mais fait autorité) que les Etats sont dans l’obligation de ne pas reconnaître les actions illicites d’Israël et de ne pas prêter assistance au maintien de sa présence dans les territoires palestiniens occupés. « Cela inclut la nécessité d’empêcher les relations commerciales ou d’investissement avec les colonies israéliennes, comme l’a souligné la Cour », relèveHugh Lovatt, spécialiste du conflit israélo-palestinien au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR).
Ces demandes sont portées de longue date par les ONG de défense de droits de l’homme. De même, l’ONU documente l’ensemble des investissements illégaux de firmes israéliennes et internationales dans les territoires occupés. Dans leur missive, les eurodéputés réclament la mise en place d’« une interdiction des échanges avec les colonies » ou, en d’autres mots, un boycott des produits issus des colonies israéliennes dans les territoires occupés. Selon les estimations, l’UE importerait chaque année pour 175 à 350 millions d’euros de biens des colonies israéliennes.
« Aucune volonté politique »
Depuis l’accord d’association entre l’UE et Israël, entré en vigueur en 2000, la Commission européenne, qui gère l’ensemble des relations commerciales extérieures, « exige un étiquetage indiquant que les denrées alimentaires proviennent de Cisjordanie et des colonies », rappellent les juristes du service diplomatique, ce qui démontrerait que l’UE respecte le droit international.
Est-ce néanmoins suffisant ? « La question de savoir si d’autres mesures sont nécessaires à cet égard relève de l’appréciation politique », précise la note du service diplomatique européen. Une manière de dire qu’il revient aux dirigeants européens de décider de l’opportunité d’un boycott.
« Aujourd’hui, précise une source diplomatique européenne à Bruxelles, il n’y a aucune volonté politique d’aller vers une telle mesure à la Commission. Pour forcer une décision, il faudrait que les Vingt-Sept arrivent à s’entendre, au niveau du Conseil européen, et que la Commission s’exécute. Mais la division entre Etats membres reste bien trop forte. Aujourd’hui, l’Allemagne a beau soutenir les avis de la Cour internationale de justice, elle ne veut pas en tirer les conséquences pratiques. Et la France, en la matière, n’est pas vraiment plus courageuse. Sans ces deux soutiens essentiels, il n’y aura pas de boycott des produits issus des colonies. »
A défaut de boycott immédiat, la lettre signée par les vingt eurodéputés réclame que l’UE vérifie « l’application par Israël des termes de l’accord d’association qui lie l’UE à Israël, notamment l’article 2 qui stipule que ces relations sont fondées sur le respect des droits humains et des principes démocratiques » alors que les combats dans la bande de Gaza et les exactions en Cisjordanie se poursuivent.
En mai, Josep Borrell a convoqué le conseil d’association avec Israël, l’instance politique de l’accord. Son ordre du jour,validé le 22 juillet par les Vingt-Sept, vient d’être envoyé à Israël. Reste désormais à trouver la date à laquelle cette réunion se tiendra et surtout, à élaborer une « position commune » des Etats membres pour les discussions.
« Il ne peut s’agir d’un conseil d’association comme les autres, a rappelé le chef de la diplomatie européenne lundi devant la presse. Nous devons parler des relations bilatérales, mais nous devons aussi parler de ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie. Nous devons parler des restrictions économiques imposées à l’Autorité palestinienne (…). Nous devons parler de l’extension des colonies. Nous devons parler du fait que l’aide humanitaire n’entre pas à Gaza. Mais pour cela, pour aller à ce conseil d’association, j’ai besoin d’un accord unanime des Etats membres sur notre position commune . Ce n’est pas pour demain. »
LE MONDE : Philippe JACQUE (Bruxelles, bureau européen) / 27 juillet 2024