Colmar, le 17 octobre 2024.
Objet : Proposition de loi pour consacrer la lutte contre l’antisémitisme.
Madame, Monsieur,
Le 1er octobre dernier, le sénateur Le Rudulier déposait une nouvelle proposition de loi « pour consacrer la lutte contre l’antisémitisme », auprès de la Présidence du Sénat. La proposition de loi déposée en octobre 2023 prévoyait déjà de renforcer les sanctions pénales contre les auteurs de textes, images, déclarations, dessins etc… contestant l’existence de l’Etat d’Israël et, pour la première fois, inscrivait le « délit d’injure » dans le droit français pour restreindre, de fait, la possibilité de dénonciations des crimes commis par Israël au regard du droit international.
La référence de ce projet de loi est la définition de l’antisémitisme de l’Alliance Internationale pour le Souvenir de l’Holocauste (IHRA). Cette définition, qui n’a aucun caractère contraignant, confirme la volonté d’amalgamer antisionisme et antisémitisme.
Aujourd’hui, Monsieur Le Rudulier fait l’amalgame entre un passé particulier, la Shoah, et le présent dans lequel la communauté internationale demande à l’Etat d’Israël de respecter le droit international et humanitaire.
Cette pratique est particulièrement dangereuse parce qu’elle instrumentalise ce passé pour inciter la classe politique française et l’opinion publique à prendre parti dans un conflit. Un conflit qui résulte du fait qu’Israël viole le droit international depuis des décennies en toute impunité.
Imposer par la loi des idéologies, quelles qu’elles soient, c’est détruire, totalement, toute vie démocratique, c’est nier le droit d’expression, comme l’ont relevé de nombreux juristes et associations dès octobre 2023.
Des juifs, religieux ou non, Français, Européens, Américains, ont fait de nombreuses déclarations pour condamner le sionisme et ses pratiques dévastatrices. A-t-on pensé à les accuser d’antisémitisme ?
Est-ce de l’antisémitisme que de demander simplement, outre un cessez le feu immédiat sur tous les fronts, un retrait des 700 000 colons présents de façon tout à fait illégale en Cisjordanie, étape préalable essentielle de tout processus de paix effectif ?
Alors oui, en France le contexte est tendu et, malheureusement les agressions contre des personnes de confession juive sont plus nombreuses. Pourquoi ?
Peut-être parce que rien n’est fait pour clarifier et contextualiser la situation. Peut-être parce que nos gouvernants entretiennent une certaine confusion pour fuir leur responsabilité et leur permettre de prendre parti pour les uns contre les autres.
Quotidiennement, on constate que l’identitarisme raciste des colons israéliens est très largement soutenu en France. Dans l’exposé des motifs du projet de loi déposé, on lit : « L’hydre islamiste est le carburant de ce nouvel antisémitisme »… ou encore : « Aujourd’hui l’hydre antisémite a changé de visage, se nourrissant de l’immigration de masse musulmane et de l’islamisme ». Nous craignons d’y apercevoir la logique de la démarche : l’islamophobie.
Mais où est cette politique française indépendante qui privilégie la Paix à la vente d’armes, que ce soit en Ukraine ou en Israël ? Humblement, Mesdames, Messieurs, nous vous le demandons.
En France où nous comptons, en effectif, les plus importantes communautés juive et musulmane d’Europe, le premier devoir du gouvernement devrait être, à tout prix, de ne pas prendre parti. Pourtant au vu des arguments de ce nouveau projet de loi, au vu des déclarations extrêmes du Ministre de l’Intérieur, on constate l’incapacité du gouvernement français à rester neutre dans ce conflit.
En n’ayant pris aucune mesure concrète pour stopper l’offensive israélienne, en n’ayant respecté aucune recommandation de la Cour Internationale de Justice, la France officielle est complice de la politique guerrière sans limite de l’Etat d’Israël qui, aujourd’hui, bafoue le droit humanitaire et risque d’enflammer toute la région du Moyen Orient. Les déclarations de Monsieur Macron, soubresauts médiatiques réguliers, n’y changent rien.
Et puisqu’il est dans l’air du temps de citer les grands philosophes de confession juive, nous citerons Hannah Arendt : « …parce que penser n’est pas quelque chose d’anodin, parce que c’est l’expression même d’une liberté en acte, dont l’enjeu est de dire le monde, ses crises, ses tragédies, mais aussi d’en dissiper les illusions et de nous ramener à une certaine forme de lucidité. » Au moment où elle écrit cette phrase la philosophe a sous les yeux un monde où règnent le totalitarisme et la bombe atomique et se demande comment le monde en est arrivé là…
Posons-nous ces questions si vous le voulez-bien : comment l’Occident, la France, en sont-ils arrivés là ? Comment peuvent-ils laisser faire ? Comment des parlementaires peuvent-ils soutenir un Etat voyou aux yeux du droit international et humanitaire ?
Le philosophe Vladimir Jankélévitch, cité par Monsieur Retailleau devant l’Assemblée Nationale, affirme l’irrévocable dans son traité sur la Mort : « le fait d’avoir fait est « indéfaisable » »…
Aujourd’hui, dans cette nouvelle proposition de loi on passe de l’antisémitisme tout court à « l’antisémitisme d’atmosphère… ». Ici, nous pourrions, dans un autre registre, citer Arletty…
On passe de six mois à un an, voire 5 ans d’emprisonnement, et les amendes vont jusqu’à 75 000 Euros. Uniquement parce qu’on veut réduire au silence celles et ceux qui n’ont pas pris le même parti que le gouvernement ; celles et ceux qui ont pris le parti de l’Humanité.
Pourtant, c’est bien la politique de l’Etat israélien, oublieuse de toute référence aux valeurs universelles d’un état démocratique, aux repères du droit humanitaire, au cadre du droit international, qui doit être combattue avec les moyens de l’Etat de droit qui devrait encore être le nôtre !
C’est bien cette politique, expression d’un sionisme fanatique, qui contribue à l’expansion de l’antisémitisme dans le monde !
Aujourd’hui, après 76 ans d’apartheid, d’injustice et 12 mois de barbarie notre colère est plus grande et plus forte que jamais ! Nous réclamons la Paix et la Justice pour la Palestine et le Moyen Orient. Nous réclamons la paix dans le monde. Nous nous engageons à ne pas baisser les bras devant les intimidations, devant les uniformes, devant les ministres et les lois scélérates d’un état complice…
Gaza et les soutiens inconditionnels aux barbares de l’Etat d’Israël, qui refusent toutes les solutions de paix, représentent un scandale sans nom et un déshonneur historique dont on évite de parler dans notre pays. On voudrait le passer sous silence, l’étouffer sous une chape de plomb. Nous sommes là pour leur rappeler leur complicité !
Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, cette proposition de loi menace nos libertés publiques. L’autonomisation pénale des infractions d’antisémitisme n’y figure que pour mieux sanctionner les critiques de la politique de l’Etat d’Israël !
Cette proposition de loi ne fait qu’amplifier l’antisémitisme qu’elle prétend combattre !
Nous vous demandons, simplement, de la rejeter !
Très respectueusement.
Pour l’Association France Palestine Solidarité Alsace,
La Présidente, Mireille PELKA
Copie à Mesdames et Messieurs les Député(e)s alsaciens.