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le pari meurtrier et suicidaire d’une guerre totale

Pour poursuivre l’anéantissement de la population de Gaza et l’annexion de la Cisjordanie, Benjamin Netanyahou espère l’embrasement de la région, et envisage une nouvelle guerre contre le Liban. Au risque de milliers de morts dans ce pays mais aussi dans sa propre société.

Frappe aérienne israélienne sur le village de Khiam, au sud du Liban, près de la frontière, le 19 septembre 2024. © AFP

Une double série d’explosions simultanées : les 17 et 18 septembre, les bipeurs puis les talkie-walkie censés appartenir à des membres du Hezbollah ont explosé a Liban, au prix de plusieurs morts dont des enfants et de centaines de blessés, rendus aveugles ou ayant perdu leurs mains. Ces explosions ont provoqué de nombreux incendies, de maisons ou de commerces en particulier. Les dirigeants israéliens se refusent à en reconnaître la responsabilité. Mais tous les regards se tournent évidemment vers Tel-Aviv. Et accusent : le piège depuis l’extérieur – a priori via une société écran en Hongrie de fabrication de batteries pour les bipeurs, selon certains journaux américains- de milliers d’appareils de communication privés touchant une population indiscriminée dans tout un pays n’est autre qu’un crime de guerre. Massif et inédit dans sa forme. Et Tel-Aviv a annoncé vouloir se lancer sur un nouveau front, au Nord du pays. En parvenant à piéger des milliers de bipeurs -qui ont remplacé les téléphones portables facilement géolocalisables- et de talkie-walkie, Benjamin Netanyahou a voulu faire une démonstration de force, notamment technologique, après l’échec sécuritaire lui aussi inédit qui a abouti à l’opération meurtrière du Hamas et de ses alliés sur le sol israélien réputé impénétrable le 7 octobre dernier, au prix de plus de mille morts, blessés, et de quelque 250 otages. Mais l’enjeu est autre.

Vers une guerre régionale ?

Tandis que le parti libanais et son aile militaire soutiennent les combattants du Hamas et ripostent par des tirs de missiles à la frontière israélo-libanaise au massacre de la population civile dans la bande de Gaza et aux confiscations massives de terres en Cisjordanie en vue de leur annexion, Israël a voulu créer une onde de choc de terreur dans le pays parmi les combattants, et parmi les civils, localiser les milliers de blessés hospitalisés, déstructurer le système de communication de l’organisation chi’ite et donc sa capacité d’organisation stratégique et militaire, la seule organisation à même de résister à une attaque d’ampleur israélienne sur le sol libanais, l’armée nationale n’en ayant ni les moyens ni la formation.

Pour Benjamin Netanyahou, régionaliser la guerre lui permettrait de la poursuivre, de retarder son départ du gouvernement et les procès qui l’attendent pour corruption, sa mise en accusation pour impéritie le 7 octobre et pour l’abandon des otages au nom de la destruction du petit territoire palestinien de Gaza. Elle lui permettrait de reléguer au second plan des regards des chancelleries l’anéantissement de la population gazaouie, de ses capacités de survie, et l’annexion accélérée de la Cisjordanie. D’autant que l’Assemblée générale des Nations unies a adopté le 18 septembre à une écrasante majorité (124 pour, dont la France, 14 contre et 43 abstentions) la résolution d’origine palestinienne exigeant qu’Israël « mette fin sans délai à sa présence illégale » en Palestine occupée (Cisjordanie dont Jérusalem-Est et Gaza) et ce dans un délai de douze mois, conformément au droit international et au récent avis de la Cour internationale de Justice. Une résolution non contraignante et non suivie de sanctions, mais qui témoigne d’un isolement diplomatique officiel. Aussi les dirigeants de Tel-Aviv, au-delà du soutien inconditionnel des Etats-Unis, espèrent-ils retrouver des alliances actives au nom d’un ennemi commun désigné : l’Iran. Et les organisations qu’il finance, dont le Hezbollah libanais.

Les assassinats de Fouad Chokr, haut responsable militaire du Hezbollah, à Beyrouth, d’Ismaïl Hanyieh, responsable politique du Hamas, à Téhéran, et de Khalil Madah, responsable militaire du Fatah, à Beyrouth, ont certes abouti à des ripostes du Hezbollah, mais sans dégénérer en embrasement général. De même que les raids des bombardiers israéliens sur le Sud-Liban. Les raids ou tirs de missiles de part et d’autre de la frontière ont cependant déjà contraint des dizaines de milliers de Libanais comme d’Israéliens à évacuer leurs régions. Israël, qui a depuis l’opération « bipeurs » attaqué plusieurs régions libanaises, a aussi « ordonné » à la population civile du Sud-Liban de fuir. Au nom des populations du Nord israélien, les menaces sont de plus en plus pressantes.

Les populations civiles sacrifiées

Après les vagues d’explosions au Liban Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, a lui aussi promis, le 19 septembre, une riposte « terrible » contre Israël, annonçant qu’il ne donnerait aucun détail ni sur sa forme ni sur son calendrier. Si Israël dispose de l’arme nucléaire, le Hezbollah est quant à lui mieux armé et ses combattants plus nombreux que dans les décennies précédentes. Créée lors de l’invasion israélienne de 1982, l’organisation chi’ite dispose d’armements lui permettant d’atteindre de nombreuses villes en Israël. Et ses combattants, engagés en particulier en Syrie aux côtés du dictateur criminel Bachar al-Assad ont acquis une expérience nouvelle.

Tous les pays de la région sont en alerte. Comme la Jordanie. Dix-huit ans après la guerre de 2006 qui a ravagé de nouveau le Liban après les invasions et occupations israéliennes multiples, sa population est particulièrement inquiète, sans savoir si Tel-Aviv envisage de massacrer à nouveau le Sud, ou d’attaquer tout le pays. Un pays exsangue économiquement, miné par la pauvreté, les inégalités et la corruption du pouvoir, dont le système hospitalier subit le chaos des arrivées massives de blessés, est-il en mesure de faire face à une nouvelle guerre par procuration dont il serait le théâtre ?

Une certitude demeure : seule la paix garantira la sécurité de tous et de toutes. Une paix juste pour être durable.

Politis – Isabelle AVRAN – 20 septembre 2024.