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Alors, avons-nous gagné ou pas ?

Nous n’avons pas gagné, mais jamais au grand jamais nous n’admettrons que nous avons perdu. Après ce que nous avons traversé, nous avions vraiment besoin d’une victoire réelle, alors nous avons transformé la libération des otages en victoire.

Mais ce n’était pas une victoire : c’était une réparation. Nous avons ramené les otages, nous ne les avons pas libérés. Il y a une différence. Ce n’est pas la Sayeret Matkal (unité d’élite de l’ètat-major de l’armée israélienne) qui a libéré les otages, ni « la pression militaire », ni les manifestations qui ont rassuré ceux qui croient en la justesse de la voie mais qui n’ont pas ramené d’otages. Les dictatures en formation ne s’effraient pas des manifestations policées. Les otages ont été rendus par un président capricieux et versatile, dont nous avons eu la chance de tomber sur un jour de bonne humeur.

Illustration : Eran Wolkowski

L’objectif de Netanyahou était de prolonger la guerre.

Quand l’objectif principal n’est pas atteint, on dérobe vite un autre objectif. Tout doucement, très doucement, sur la pointe des pieds, la « victoire » a été déplacée de la « destruction du Hamas » vers la « libération des otages ». Maintenant les tailleurs roi* nu prennent la victoire qui n’existait pas et lui cousent un costume sur mesure. Ils ont du matériau : 2 000 morts israéliens, des dizaines de milliers d’Arabes. Ce ne sont pas exactement des matériaux qui constituent une victoire, mais des matériaux médiocres n’ont jamais arrêté les tailleurs. S’approprier la victoire est un privilège des dominants.

Et ils ne se contenteront pas d’un match nul.

La négation de la défaite est une fuite devant la reconnaissance qu’on ne peut pas continuer ainsi. On ne peut pas bâtir l’avenir sur des chars, des avions et des réservistes mobilisés trois mois durant. Nous n’en avons pas la force. Nous ne sommes pas Sparte.

Yoav Kisch (ministre de l’Éducation) imposera une victoire qui n’était pas au programme scolaire, et Amit Segal (journaliste de radio et de télévision, identifié avec le courant nationaliste-religieux) la constatera comme un fait. Mais la déroute est trop effroyable pour qu’on la dissimule en remplaçant la date grégorienne par une date hébraïque. On ne peut pas cacher otages et morts. Chacun d’eux est un chef d’accusation — pour l’abandon, pour la sabotage de l’accord et pour la prolongation inutile de la guerre.

La négation de la défaite est une fuite devant la reconnaissance qu’on ne peut pas continuer ainsi. On ne peut pas bâtir l’avenir sur des chars, des avions et des réservistes mobilisés trois mois durant. Nous n’en avons pas la force. Nous ne sommes pas Sparte. Nous n’avons pas réussi à vaincre 40 000 combattants sans chars et sans avions ; que se passera-t-il quand nous ferons face à des ennemis plus forts ?

Admettre la défaite est la première étape vers la réparation.

Si nous avions avoué que nous avions perdu, nous n’aurions pas seulement demandé où était l’armée le 7.10, mais comment croire encore au mythe qu’on ne peut vivre ici que par la force. Or, la force a échoué. Des dizaines de fois. Alors que faire ? Acheter des avions plus modernes ? Des chars plus sophistiqués ? Ça ne marchera pas. Nous ne sommes pas capables de mener la « guerre éternelle ». Peut‑être vaudrait‑il la peine d’essayer une autre voie ? Ou au moins d’en chercher une ? Mais nous sommes dans le déni, nous préférons l’illusion à la réalité et le mensonge à la vérité.

On nous a déversé des tonnes de mensonges. On a falsifié et dissimulé. Et où étaient les journalistes ? Ils nous ont trahis et trahi la profession. Ils ont porté atteinte à leur crédibilité, sans laquelle ils n’ont pas de valeur. Nous avons cessé de leur faire confiance. Ils n’ont pas dévoilé les mensonges ; ils les ont cachés. À la télévision, on a menti au service du gouvernement, de l’armée et des audiences. À la place d’informations, nous avons reçu une sentimentalité collante. Si on leur avait interdit l’usage des mots « émouvant » et « dramatique », un silence gênant serait tombé dans les studios.

Et nous nous sommes tus. Nous n’avons pas exigé de réponses. Nous nous sommes cachés derrière l’ignorance. On ne nous a pas montré comment nous avons annihilé environ 67 000 personnes, et nous n’avons pas exigé de démenti concernant le meurtre d’enfants, de femmes et de vieillards. Nous avons compris que le silence est complicité du crime seulement après qu’on nous a expulsés d’un restaurant en Grèce.

Ce n’est pas « Le peuple tout entier » qui a soutenu la retour des otages.

Environ la moitié du peuple s’est opposée à la cessation de la guerre qui aurait raccourci leurs souffrances. Ceux qui ont soutenu la poursuite de la guerre ne soutenaient pas le retour des otages. Par conséquent, le « jour d’après » ressemblera au jour d’avant. Une nouvelle page blanche ne s’ouvrira pas. Les gens ne se « rassemblent » pas simplement parce qu’Ayala Hasson (journaliste et animatrice de télévision) le demande. On s’unit seulement par espoir. Le fait de savoir qu’il y a une lumière au bout du tunnel aide à se rassembler et à surmonter la haine.

Il n’y a pas d’espoir dans la « guerre éternelle ». Ce n’est qu’un prétexte. Le prétexte de ceux qui sont incapables de proposer des idées neuves et originales. Qui croit à la guerre éternelle préférera une vengeance familière plutôt qu’une pensée différente : vengeance et réaction, puis encore vengeance. La guerre d’octobre fut une guerre de vengeance. La vengeance engendre la vengeance. Un garçon de dix ans dont la famille a été anéantie à Gaza cherchera la vengeance à vingt ans. Après la vengeance viendra la « dissuasion », puis de nouveau la vengeance. Le cycle des vengeances aide Netanyahou, Ben‑Gvir et Smotrich à établir une infrastructure éternelle pour la vision de guerre éternelle de David Zini (le nouveau chef du Shin Bet, service de renseignement intérieur) — une guerre sans fin et sans vainqueurs.

*Allusion au conte « Les Habits neufs de l’empereur » de Hans Christian Andersen

HAARETZ – Yossi Klein – 15 octobre 2025 – publication AFPS Alsace 21 octobre 2025

Yossi Klein Halevi est un auteur et journaliste israélien d’origine américaine.