Photo titre : Les premiers prisonniers palestiniens à être relâchés sont arrivés en bus à Ramallah, en Cisjordanie, lundi 13 octobre en fin de matinée. (Ammar Awad/Reuters)
Ancienne directrice de l’ONG Addameer, l’avocate Sahar Francis décrit le profil des détenus relâchés par Israël ce lundi 13 octobre et dénonce la dégradation de leurs conditions de vie dans les geôles de l’Etat hébreu depuis deux ans.
Près de 2 000 prisonniers palestiniens doivent être libérés à partir de ce lundi 13 octobre en échange du retour des otages israéliens captifs depuis les attaques du 7 octobre 2023. Les premiers à être relâchés sont arrivés en bus à Ramallah, en Cisjordanie, lundi en fin de matinée. Dans un entretien avec Libération, Sahar Francis, ancienne présidente de l’ONG Addameer, qui travaille sur les droits des prisonniers palestiniens et que l’Etat hébreu a classée comme «terroriste» en 2021 – une décision que l’ONU et les principales organisations de défense des droits humains avaient qualifiée de mesure de répression contre la société civile – salue avec prudence la libération des prisonniers. Cette avocate spécialisée dans les droits humains dénonce aussi les violences infligées par les autorités israéliennes aux détenus palestiniens.
Comment réagissez-vous à l’annonce de la libération des prisonniers palestiniens ?
Nous sommes heureux, mais nous savons que ce n’est pas la fin de l’histoire : cela ne signifie pas que la paix va arriver tout de suite. Pour nous, le plus important est l’annonce du cessez-le-feu, qui permet d’interrompre le génocide en cours dans la bande de Gaza. Maintenant, il faut faire pression, avec l’aide des Etats comme la France et le Royaume-Uni qui reconnaissent désormais l’Etat de Palestine, pour qu’Israël respecte le droit international et les droits des Palestiniens, notamment des détenus.
Que sait-on du profil de ces détenus libérés par Israël ?
Il y a deux catégories distinctes. Environ 250 des prisonniers qui vont être libérés purgent des peines de prison à vie, sans limite de temps. La plupart d’entre eux ont été arrêtés au moment de la deuxième intifada, au début des années 2000, et ont déjà passé quinze ou vingt ans en détention. Beaucoup ont été condamnés pour avoir commis des crimes de sang, d’autres sont seulement accusés d’avoir planifié de tels actes. Les 1 700 autres prisonniers qui vont être libérés viennent de la bande de Gaza. Ils ont été arrêtés depuis le début de la guerre mais n’ont jamais été inculpés pour des faits en lien avec le 7 Octobre. Ils sont détenus sous le statut de «combattants illégaux».
En quoi consiste ce statut ?
C’est un statut créé par une loi de 2002 qui permet de considérer des individus comme des terroristes sur la base du secret de l’information, sans procédure régulière ni procès, et sans limite de temps. Les prisonniers doivent juste être présentés à un juge dans un délai de 75 jours. Environ un millier de prisonniers détenus sous le régime des «combattants illégaux» ne sont pas inclus dans les libérations prévues par l’accord de cessez-le-feu. Personne ne sait ce qui va leur arriver ni quand ils pourront retrouver la liberté.
Comment sont traités les détenus palestiniens dans les prisons israéliennes ?
Au cours des deux dernières années, les conditions de vie des prisonniers palestiniens se sont détériorées d’une manière sans précédent. Dès le premier jour, immédiatement après le 7 Octobre, les gardiens ont fait irruption dans les cellules des prisonniers palestiniens, les ont battus violemment et ont confisqué toutes leurs affaires. Pendant environ les six premiers mois, ils coupaient quotidiennement l’électricité et l’eau, et ont réduit drastiquement la nourriture qui leur était servie. On a vu ces derniers jours les mauvais traitements infligés aux militants des différentes flottilles arrêtés par Israël.
Pour les prisonniers palestiniens, évidemment, c’est bien pire. Nous avons recensé des agressions physiques quotidiennes ainsi que des violences sexuelles. Depuis deux ans, 78 détenus palestiniens sont morts dans les prisons israéliennes, à cause des agressions physiques et des politiques de négligence médicale [selon les chiffres publiés par le Club des prisonniers palestiniens]. Aucun soldat israélien n’a été tenu pour responsable de ces morts.
Que va-t-il advenir des prisonniers libérés ? Où vont-ils aller ?
Tout le monde ne pourra pas rentrer chez soi. Les 1 700 Gazaouis arrêtés depuis le 7 Octobre vont être renvoyés dans la bande de Gaza. Pour les autres, c’est plus compliqué. Il semble que certains vont être expulsés vers l’Egypte, d’autres vers la bande de Gaza. D’autres rentrent en Cisjordanie. Là-bas, ils risquent d’être à nouveau arrêtés.
En février, au moment de la dernière libération de prisonniers palestiniens, Israël a relâché et envoyé en Egypte des détenus qui avaient d’abord été libérés en 2011, dans le cadre de l’échange avec [le soldat israélien] Gilad Shalit, puis arrêtés de nouveau en 2014, sans avoir commis aucun nouvel acte répréhensible. Cela montre qu’Israël utilise la question des prisonniers pour accentuer l’oppression des Palestiniens et les forcer à renoncer à d’autres points dans les négociations. C’est ce dont témoigne d’ailleurs le refus d’Israël d’inscrire sur la liste des prisonniers libérés des figures comme [le leader palestinien] Marwan Barghouti.
Libération -Samuel Ravier-Regnat – 13 octobre 2025