"Alors
que le monde observe avec horreur les événements qui se déroulent en
Ukraine, la discussion sur l’urgence de protéger un ordre mondial fondé
sur le droit international domine le discours public et politique. La
communauté internationale s’est ralliée au multilatéralisme et à la
nécessité d’adhérer au droit international et de protéger les droits
humains. C’est en effet la seule façon d’avancer dans un paysage
mondial de plus en plus polarisé.
Dans
le même temps, nous nous rappelons que, dans d’autres contextes, la
communauté internationale a trop souvent gardé le silence et n’a pas agi
face à de graves violations du droit international et à l’impunité qui
s’ensuivait. Or la sauvegarde de l’ordre juridique international
implique l’application de principes de manière uniforme et cohérente.
Les
mêmes normes et la même volonté de protéger la population civile
ukrainienne et de demander des comptes pour les violations du droit
international commises par la Russie doivent être appliquées dans le monde
entier, y compris dans le cadre du conflit israélo-palestinien.
Occupation
prolongée
Il
est essentiel que le consensus de la communauté internationale concernant l’illégalité
et l’immoralité de plus de cinq décennies d’occupation constitue l’épine
dorsale de la politique européenne qui régit nos relations avec Israël.
L’Union
européenne (UE) et ses Etats membres continuent de placer la solution à
deux Etats, fondée sur la souveraineté et l’égalité des Israéliens et
des Palestiniens, comme pierre angulaire de leur politique au Moyen-Orient.
Pourtant, la réalité sur le terrain, en Israël et dans les territoires
palestiniens occupés, évolue dans une direction totalement opposée. Et
notre inaction pourrait avoir des conséquences importantes dans la région,
ainsi que sur la validité et l’efficacité de la diplomatie européenne
Les
gouvernements israéliens successifs, y compris le gouvernement actuel, ont
clairement indiqué à plusieurs reprises qu’ils n’avaient pas l’intention
de prendre des mesures pour mettre fin à cette occupation prolongée. En
contradiction directe avec le droit international, Israël a transféré des
centaines de milliers de citoyens israéliens dans les territoires occupés.
Aujourd’hui, plus de 650 000 Israéliens vivent dans des colonies
illégales en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est. Ces colonies sont
établies dans des zones qui fragmentent intentionnellement la population
palestinienne en enclaves déconnectées, érodant la viabilité d’un
futur Etat palestinien.
Un
système juridique à deux vitesses est en place, avec des droits inégaux
entre les Palestiniens vivant sous le régime militaire et les Israéliens
vivant sous le régime civil israélien. Les Palestiniens sont confrontés
quotidiennement à la répression structurelle, ainsi qu’aux restrictions
de mouvement, à la confiscation des terres, aux démolitions de maisons, à
la surveillance et aux violations des droits civils fondamentaux, notamment
la liberté d’expression et de réunion. Mépris alarmant
Malgré
l’espoir initial de changement avec le gouvernement de coalition élu en
Israël en 2021, ces tendances se poursuivent. Nous assistons à une
augmentation significative de la gravité et de la fréquence des violences
commises par les colons à l’encontre des communautés palestiniennes, et
cela en toute impunité.
En
outre, le ministère israélien de la défense a entrepris une répression
sans précédent de la société civile palestinienne, déclarant hors la
loi six des ONG les plus importantes. En 2021, le nombre de structures
palestiniennes démolies par Israël est le plus élevé enregistré par l’ONU
depuis des années, tandis qu’un nombre record de structures d’aide
humanitaire fournies par l’UE et ses Etats membres ont été démolies ou
confisquées. Cela s’est accompagné d’une avancée significative des
colonies dans la périphérie de Jérusalem-Est, menaçant de fragmenter la
Cisjordanie en territoires non contigus
Plus
récemment, le 5 mai 2022, la Haute Cour israélienne a donné son feu vert
au transfert forcé de plus de 1 000 résidents palestiniens des
communautés de Masafer Yatta, dans les collines du sud d’Hébron. Si elle
est mise en œuvre, cette mesure constituera le plus grand acte de transfert
forcé dans les territoires occupés depuis les années 1970.
L’assassinat
de la journaliste d’Al-Jazira Shireen Abu Akleh, dans l’exercice de ses
fonctions, témoigne d’un mépris croissant et profondément alarmant pour
les droits et libertés fondamentales des Palestiniens. Travailler pour
soutenir deux Etats
Au
cours des dernières années, un nombre croissant d’organisations
israéliennes et internationales de défense des droits humains se sont
jointes à la société civile palestinienne pour conclure que le système
israélien de répression contre les Palestiniens, en particulier dans les
territoires occupés, équivaut à de l’apartheid.
Cette
affirmation se base sur des analyses juridiques solides présentées par B’Tselem,
Yesh Din, Human Rights Watch, Amnesty International, un rapporteur spécial
des Nations unies et la Clinique internationale de défense des droits
humains de la faculté de droit de Harvard
Nous
croyons en l’importance pour la communauté internationale de travailler
pour soutenir deux Etats, Israël et la Palestine, vivant côte à côte
dans la sécurité, la démocratie et la paix. Il est grand temps que les
alliés d’Israël, y compris l’UE et ses Etats membres, réaffirment
leur engagement en faveur de deux Etats en demandant à Israël de rendre
des comptes pour ses violations continues des droits humains et des
libertés des Palestiniens.
Nous
ne voyons pas d’autre alternative que de reconnaître que les politiques
et pratiques d’Israël à l’encontre des Palestiniens vivant en
Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza équivalent au crime d’apartheid,
et nous appelons nos collègues de la communauté politique européenne à
se joindre à nous pour exiger une action visant à mettre fin à ces
politiques injustes et à faire apparaître les perspectives d’une
solution à deux Etats au conflit.
|
Mogens Lykketoft,
ancien ministre des affaires étrangères et président de l’Assemblée
générale des Nations unies, Danemark ; Erkki Tuomioja, ancien
ministre des affaires étrangères, Finlande ; Ivo Vajgl, ancien
ministre des affaires étrangères, Slovénie ; Hubert Védrine,
ancien ministre des affaires étrangères, France ; Baroness Sayeeda
Warsi,ancienne ministre du cabinet et ministre du Foreign Office pour
les Nations unies, les droits de l’homme et la CPI,
Royaume-Uni.Collectif |